Projet scientifique visant à valoriser le rôle des plantes dans une perspective transversale et interdisciplinaire au travers du procédé de l'écriture.
16 mars 2020 - 31 déc. 2021 Nancy, Metz, Caen (France)

Cycle de rencontres "échanges interdisciplinaires avec les plantes" > Rencontre 1 - 8 et 13 juin 2023 - échanges avec le groupe de femmes participant au projet "ce à quoi nous tenons"

 

Présentation du projet Échanges interdisciplinaires avec les plantes (dir. Marie Rota, Université de Lorraine, IRENEE)

L’objectif du projet Échanges interdisciplinaires avec les plantes est de valoriser et de diffuser les résultats du projet Écrire les plantes en l’ouvrant à la société. Pour ce faire, il est proposé d’organiser un cycle de rencontres délocalisées au sein de musées, jardins botaniques, écoles, bibliothèques, tiers-lieux sociaux, etc. Ces rencontres pourraient donner lieu en 2024 à une publication collective sous forme de d'échanges avec les différentes plantes rencontrées.
L’année 2023 sera quant à elle consacrée à ces rencontres, qui permettront tout d’abord de présenter l’ouvrage et la méthode scientifique mise en place et tenter de la faire comprendre à un large public. Elle s’inscrit donc pleinement dans l’objectif de développement de science ouverte. Il s’agira ici aussi de présenter l’apport de ce projet à chaque discipline : comment l’angle d’approche des plantes de tel ou tel chercheur.euse a pu évoluer au regard de ces échanges interdisciplinaires, comment leurs pratiques en tant que chercheur.euse a pu évoluer, comment leurs enseignements ont pu évoluer, quels ponts ont pu être créés entre les différentes disciplines tant du point de vue de la recherche que de l’enseignement ?

Méthodologie adoptée

En vue de permettre un réel échange entre le public et les membres du projet, une méthodologie originale a été imaginée par les membres de l'équipe. Des temps de reliance avec les plantes au cours desquels une attention sensible leur ait accordée (en passant par exemple par le yoga, la méditation, la danse, le théâtre, la cuisine, le jardinage, grâce à des intervenant.es extérieur.es spécialisé.es dans ces domaines et ayant développé des approches écologiques de leurs pratiques) sont tout d'abord proposés. Il ne s'agit pas de guider les participant.es vers un type de relation en particulier, mais de permettre par l'expérience sensorielle de faire émerger la relation particulière que chacun.e noue (ou non) avec les plantes et d'y mettre de la conscience. Ces temps sont suivis d'un atelier d'écriture automatique, de dessin, ou de prise de parole (enregistrée), permettant au public de restituer et de partager son ressenti. A partir de là, la discussion avec les membres de l’équipe peut s'engager. Une restitution sur le site internet dédié à la recherche est aussi envisagée.

Présentation du projet Ce à quoi nous tenons (dir. Flora Pilet)

CE A QUOI NOUS TENONS est un dispositif de médiation adressé à un groupe d’une vingtaine de femmes l’agglomération caennaise, qui se saisit de la question du soin et des représentations du corps des femmes dans la société. Un projet pour, par et avec des femmes. Inspirée par le dispositif IMAGINE mis en place par le Centre Nationale de la Danse entre 2017 et 2020, la chorégraphe Flora Pilet propose un projet de médiation artistique destiné à un groupe de femmes de différentes origines sociales, culturelles et générationnelles. Le projet CE A QUOI NOUS TENONS a pour objectif de valoriser la place des femmes dans la société en partageant des pratiques qui relient l’art et le soin. Ces pratiques permettent la valorisation de l’image de soi, elles peuvent aussi être un appui dans une démarche de reconstruction personnelle pour des femmes victimes de violence. Enfin, elles permettent à toutes les femmes d’affirmer ce à quoi elles tiennent pour elles et leur vie.

Atelier de rencontre avec les plantes proposé (dir. Muriel Gilardone, Université de Caen Normandie, IDEES)

Visée scientifique

En proposant une réflexion aux femmes de ce projet, à partir d’ateliers et d’échanges autour des plantes et avec les plantes, l’économiste Muriel Gilardone et la juriste Marie Rota s’inscrivent dans un mouvement épistémologique et politique, en grande partie impulsé par Bruno Latour[1], et défendu notamment par Emilie Hache dans son ouvrage Ce à quoi nous tenons[2], auquel le projet porté par la compagnie Noesis fait écho. Il s’agit non seulement de ne plus disqualifier d’emblée les savoirs critiques ou les connaissances vernaculaires dans une perspective scientifique utraspécialisée et s’arrogeant le monopole de l’expertise, mais également de ne plus postuler une distinction hiérarchique entre humains et autres qu’humains dans une perspective de dualisme et de domination entre nature et culture. Ce mouvement épistémo-politique renvoie à un processus où l’on cherche à « écologiser » plutôt qu’à « moderniser » nos façons de faire, de penser et de rendre compte du monde en travaillant les associations d’êtres qui composent notre « collectif » (Hache 2011 [2019] : 19) plutôt qu’en les séparant et maltraitant.
Ce mouvement est aussi celui recherché par l’ouvrage collectif Ecologies. Le Vivant et le social sous la direction de Philippe Boursier et Clémence Guimont qui non seulement explore le dialogue interdisciplinaire, mais affirme que si l’on veut « contribuer à frayer les voies d’une grande transformation à la fois nécessaire et désirable, les connaissances produites par les sciences doivent s’articuler aux expériences populaires  qui, en matière d’écologie, possèdent leur propre validité : connaissance des sites, des sols, des sous-sols et des cours d’eau, des espèces végétales et animales qui les habitent, des mouvements et des rythmes qui leur sont propres ; maîtrise artisanale et ouvrière des processus de production et de fabrication, savoirs médicinaux, techniques de soin et pratiques de transmission de ces savoirs… » [3].
Enfin, le développement de nos connaissances des plantes, et de ce pourquoi il est important de les préserver mais aussi de leur faire une place dans nos approches éthiques et politiques du monde, passe aussi par la mise à jour des relations que nous, êtres humains, nous entretenons avec elles. D’où la nécessité de passer par des ateliers réflexifs, faisant appel autant aux sentiments qu’aux raisons qui nous lient à elles dans nos vies quotidiennes.

Visée pour les femmes participant au projet

En proposant cet atelier aux femmes réunies autour d’un projet de (re)valorisation de leur place dans la société et, pour certaines, de reconstruction, il s’agit de travailler à partir de leurs connaissances et pratiques en lien avec les plantes, tout en échangeant avec elles autour des perspectives qui ont émergé dans un cadre scientifique interdisciplinaire audacieux et atypique. Ce faisant, l’atelier vise aussi à valoriser leurs savoirs et savoir-faire, tout en les augmentant grâce à ces échanges. Il participe enfin d’une dynamique de soin, à la fois de soi par les plantes et avec les plantes, mais aussi des plantes qui nous entourent par l’attention que nous proposons de leur porter.

Programme de la rencontre

Jour 1 – jeudi 8 juin 2023, Jardin de l’amitié de Saint Jean Eudes, Caen

Matin :

Ballade sensorielle en binôme avec les plantes (départ de la coopérative chorégraphique jusqu’au jardin de l’amitié de Saint Jean Eudes) : une femme guide l’autre qui accepte de se mettre en position d’aveugle, et l’arrête devant des plantes de son choix en lui demandant d’ouvrir les yeux sur la plante choisie quelques instants, puis de refermer les yeux pour poursuivre la ballade sensorielle. Inversion des rôles au bout de 20 minutes.

               

               

A l’arrivée au jardin de l’amitié, installation avec carnets et stylos pour atelier d’écriture intuitive et rapide (1 mn de réflexion, 1 mn d’écriture) pour chaque début de phrase suivante : (1) « pour moi, les plantes c’est… ; (2) ce à quoi je tiens le plus dans ma relation avec les plantes c’est… ; (3) les plantes que je connais le mieux sont… ; (4) celles qui me connaissent le mieux sont… ; (5) ce que j’aimerais connaître mieux des plantes, c’est… »

                         

                         

Restitution au groupe (transcription : Muriel Gilardone)


« pour moi, les plantes c’est… »

… joyeux, doux et lumineux

… la vie première sans quoi rien est possible

… régénérant, ressourçant, c’est la vie sans souci, c’est le vert, la photosynthèse et la source

… la vie végétale

… la nature, le naturel, le retour aux sources, l’apaisement, le jardinage, l’écologie et les odeurs

… la vie, le soleil, le bonheur, la joie, le partage et l’échange

… la folie des grandeurs, une manière de sentir sans observer qui on est au-dedans, c’est le soleil qui nous fait jaillir, c’est la montagne en devenir

… vert, ça sent bon, la nature, se sentir bien, odeurs, ballades, jardins, respirer à pleins poumons, racines, feuilles, fleurs, branches, printemps, automne, rouge, mordoré, hiver, repos

… le vivant, le mouvement, l’entortillement, ça peut être vert

… le lien avec le monde qui m’entoure, l’apaisement, les odeurs, les couleurs, le goût d’une tisane à la fois douce et épicée au creux de l’hiver, le chaud du thym

… l’ombre, la vie, le soleil et la lumière

… la nature, le soleil, une ressource, plein d’énergie via l’odorat, les plantes c’est la joie et la gaité

… la vie, la résistance, c’est la force, le soin, l’espoir, la beauté, c’est la vie qui s’infiltre partout et ne renonce jamais, c’est le coquelicot qui me ramène en enfance, c’est l’apaisement

… la vie, c’est nature et naturel

… la vie, la liberté, c’est une source de bonheur et d’enchantement

… les aromates, la nature, la verdure et la senteur

… le parfum, la texture et la couleur

« ce à quoi je tiens le plus dans ma relation avec les plantes c’est… »

… la fraîcheur qu’elles m’apportent et le merveilleux qu’elles dégagent

… ce qu’elles m’apportent dans les soins que je prends d’elles et ce qu’elles me donnent : fruits, légumes, ombre, sérénité

… l’échange oxygène-CO2, la fertilité, l’eau, l’ombre

… d’en prendre soin, de les observer, de les admirer, de les ramasser pour les utiliser : les manger, les tisser, etc.

… l’apaisement qu’elles m’apportent, la sérénité, la liberté, la relaxation qu’elles engendrent

… l’amour et les soins qu’elles me donnent ; les voir, les sentir grandir, s’épanouir ; la force qu’elles me donnent de continuer dans ma vie

… c’est l’amour partageable, partageant, aimant, distant et présent, l’amour du paradoxe en un être vibrant, la force qui déménage, le rassemblement

… l’odeur, la couleur, la douceur, le vivant, ça pousse et ça peut se manger

… le toucher

… l’évasion, partir ailleurs le temps d’un regard ou bien portée par l’odeur, et le retour en enfance

… de les protéger, de leur prêter mon attention, de les arroser tous les jours, et de prendre soin de ça

… de le respecter, leur donner de l’amour et les arroser légèrement

… le lien qui s’établit entre la croissance, la vie qui se renouvelle en permanence, c’est l’espoir et la joie qu’elles me procurent, la sensation d’apaisement et de force, c’est leur force et leur fragilité, leur caractère double

… la fraîcheur, le parfum, la douceur

… la vie, les couleurs, les odeurs et leur diversité

… le goût et l’odorat

… les laisser vivre là où elles se sentent bien et les regarder grandir

« les plantes que je connais le mieux sont… »

… le noyer, le pommier, l’herbe, les pissenlits, les courgettes, les tomates, la salade

… celles de mon balcon, les plantes comestibles, celles du jardin de mon grand-père, les plantes d’intérieur et les arbres

… les plantes ornementales, les plantes que je mange et les plantes qui me soignent

… les plantes potagères, les plantes d’agrément et les plantes aromatiques

… les fleurs : les orchidées, les lys, les lisianthus, les millepertuis, et l’oiseau du paradis

… la lavande, la sauge et la vie

… le lierre, les herbes folles, le thuya et toutes les plantes pour les haies, les fleurs : la rose, la tulipe, les fleurs des champs, la salade, le chêne, le frêne et le cerisier

… des plantes d’intérieur

… le thym, l’ortie, l’ail et l’ail des ours, le pissenlit, la pâquerette, le lilas, le sureau et les coquelicots

… le palmier, l’oranger et l’avocatier

… le romarin, la sauge, le persil, la coriandre, la ciboulette, l’oseille, le thym, le laurier, la menthe, mes tomates (de chez moi) et mes orchidées

… les plantes aromatiques : thym, basilic, menthe, ciboulette ; les plantes médicinales : achillée millefeuille, valériane, souci, pissenlit ; beaucoup de fleurs vernaculaires mais peu d’arbres

… les roses, les fraises, les pommes, les mangues, etc.

… toutes les plantes fleuries dans mon jardin, que j’ai plantées, les plantes dans la maison, et tout ce qui est plantes sauvages dans la nature

… sauge, rhubarbe, thym, persil

… thym, basilic, ciboulette, citronnelle, laurier, menthe

… modestes, du cru ou lointaines

« celles qui me connaissent le mieux sont… »

… la menthe, le thym, la coriandre, l’aloe vera, l’ail, l’oignon, les champignons

… celles qui entrent dans mon système digestif, la plante à côté de moi sur la méridienne où je me repose, le basilic, le persil et les plantes aromatiques

… les plantes de mon jardin et les plantes potagères

… celles que je consomme le plus, les salades, et celles avec lesquelles je me parfume, le patchouli

… les orchidées, les lys, l’oiseau du paradis, la coriandre, la menthe, le romarin, le thym, la sauge

… l’arôme, le pissenlit, l’achillée millefeuille, la rose, le bambou et le lierre, le muguet aussi, le lilas, les ajoncs et le chêne

… une qui m’a connu beaucoup autrefois, c’est le bambou ; maintenant, ce sont les herbes folles, les fleurs des champs, les roses, les tulipes et l’olivier de mon jardin, mon olivier quoi

… la plante qui est dans mon appartement, mais je ne sais pas comment elle s’appelle

… l’aloe vera dans ma salle de bain qui m’observe tous les matins, le thym du jardin qui sais si j’ai envie de le cuisiner ou bien de soigner un rhume

… les tournesols et les papayers

… persil, thym, coriandre, tomates (dans ma cuisine) et mes orchidées

… les plantes qui sont sur mon balcon, que j’ai bouturées du jardin de ma belle-mère, le rosier que ma mère à bouturé et qui vient d’une bouture de ma grand-mère, le bambou de notre salon, le ficus, le yucca, l’avocatier que l’on a fait pousser, l’aloe vera que mon père m’a donné

… les plantes de mon jardin : les tomates, les piments, les cerises, l’ail

… celles que j’ai dans mon jardin, je vais en nommer quelques-unes : acanthes, agapanthes, gauras, hortensias, roses, sauge sauvage, camomilles du Pérou, euphorbes

… la sauge, le thym, le laurier, la ciboulette, la rose et particulièrement l’ail

… la rose, le lys, la pâquerette, le coquelicot, la violette, l’iris et l’orchidée

… celles qui me soignent, je les avale, les respire ou les étalent sur ma peau ; ainsi, nous nous rencontrons

« ce que j’aimerais connaître mieux des plantes, c’est… »

… leurs habitudes de vie, comment elles interagissent entre elles, les bénéfices qu’elles peuvent m’apporter, comment continuer à les laisser vivre

… leurs vertus thérapeutiques, leurs noms, leurs histoires, leurs secrets, leurs langues et leurs sons

… leur légitimité

… les plantes sauvages comestibles

… les plantes botaniques, qu’on ne connaît vraiment pas, leurs vertus, leurs origines, comment on peut se faire soigner aussi par les plantes, les faire partager et les échanger autour de nous – des proches, et même des gens que je ne connais pas – pour qu’on puisse avoir ce partage et cet échange car il y a des gens qui n’osent pas parler de leur jardin ou leur potager, et moi j’aimerais bien… d’ailleurs je me suis inscrite pour un jardin familial mais pour l’instant il n’y a pas de place

… savoir si elles kiffent ou non finir en huile essentielle ou si l’hydrolat leur convient mieux, et j’aimerais aussi connaître davantage leur voix

… leur vie intérieure, ce qu’elles sentent, ce qu’elles ressentent, leurs douleurs, si elles sont contentes parfois, si elles pensent à leur façon, si elles sentent venir la mort

… les plantes dans leur globalité car je ne les connais que très peu

… comment cuisiner leurs fleurs, lesquelles se mangent, connaître leur poésie, leurs chansons, leurs secrets, et qu’elles m’apprennent à recréer du lien avec les petites bêtes qui nous entourent

… en quoi consistent leurs racines et comment elles se tiennent debout pendant de longues années

… comment les cultiver en appartement par rapport aux températures et aux saisons

… leurs secrets et leurs propriétés, les histoires qu’elles ont à nous raconter, leurs noms dans leurs langues vernaculaires, leurs lieux, leurs voyages pour arriver jusqu’au moment de notre rencontre, ce qu’elles ont vu, ce qu’elles entendent, ce qu’elles ont à raconter

… leurs origines et leurs besoins pour leur bien-être

… leur utilité au quotidien, et comment les associer tout en les respectant

… comment ça pousse, combien de fois faut-il les arroser et combien de mois ça pousse

… comment prendre soin d’elles, connaître leur rythme, sentir leurs émotions, pouvoir bavarder un brin avec elles

Après-midi :

Méditation guidée par Nora Guelton, amenant à s’identifier à une plante, visualiser son environnement, imaginer sa vie et peut-être un message qu’elle aurait à transmettre

Installation avec les carnets et stylos pour atelier d’écriture et/ou de dessin durant lequel les femmes peuvent s’exprimer du point de vue de cette plante (rencontrée le matin pendant la balade sensorielle, ou dont elles auraient envie de se faire la porte-parole).

Restitution au groupe (transcription : Muriel Gilardone)

« je suis… »

Je suis un THYM. Le thym est une plante aromatique, parfumante, guérisseuse. Je suis un bon élément pour la cuisine, sans moi la saveur ne serait pas la même. On m’utilise pour faire des huiles essentielles pour le bien de votre corps. Je peux être utilisé en inhalation pour dégager vos narines en cas de nez bouché, et en infusion pour soulager votre gorge. Je suis une plante naturelle. Quand je suis en fleur, je dégage un bonheur dans votre jardin avec ma belle couleur. Je peux me mélanger avec mes amis les aromates pour faire un bouquet garni qui ornera vos petits plats et vous lâchera un bon odorat de saveurs.

Je suis né en 1870 dans une forêt de Serbie. J’étais une toute petite pousse, je viens d’une graine qui s’est détachée des branches de ma mère et qui s’est doucement enfoncée dans le sol. J’ai mis beaucoup de temps à sortir de terre, à faire émerger ma première tige. J’ai failli mourir plusieurs fois. Certains animaux adorent nous manger ou nous ramasser pour jouer avec nous. Pour eux, c’est un jeu, mais pour nous autres, nous savons que cela retarde le moment de la métamorphose. Cependant, nous cherchons aussi à attirer l’attention de ces animaux car lorsqu’ils nous emmènent avec eux, nous voyageons. C’est comme cela que nous nous sommes répandus sur la surface de la planète… au début du moins, car maintenant nous sommes parqués dans une immense parcelle qu’ils appellent « forêt ». Nous sommes tous les mêmes dans cette parcelle, tous de la même espèce. C’est très ennuyant, c’est les mêmes histoires qui sont répétées et qui tournent en rond. Avant, dans mon habitat premier, dans la forêt de Serbie, j’avais plein d’amis différents. Les échanges étaient riches et chacun d’entre nous protégeais l’autre. Nous étions tous reliés et soudés malgré nos différences. Il y a quelques temps, je ne sais pas combien cela fait à l’échelle de vous autres les humains, vous m’avez arraché à cette forêt pour me planter au bord d’une allée avec les mêmes que moi. Je m’ennuie terriblement… je vous vois venir profiter de mon ombre, ou vous cacher pour vous bécoter derrière mon tronc. Je vous vois et je vous observe. Et je vois que vous aussi, vous êtes en train de vous faire la même chose que vous nous avez faite. Vous ne vous en rendez pas compte, mais vous êtes en train de vous isoler, de vous renfermer avec ceux qui vous ressemblent le plus en apparence et vous perdez de vue ce qui fait grandir votre âme : c’est de rencontrer la différence. Prenez garde, car si vous continuez ainsi, vous finirez tout seul au bord d’une route, comme je le suis moi, le CHÊNE, à cause de vous.

Je suis la MENTHE, le parfum et l’infusion que l’on boit froide ou chaude, comme vous voulez. Fais attention à moi pour m’arracher, sinon je ne serai plus là.

J’apparais sous différentes formes de couleur, de parfum, dans différents endroits du nord au sud. Tantôt je me trouve dans un jardin privé où l’on prend le temps de me buissonner, de me tailler… je peux aussi pointer le bout de mon nez à chaque rangée de pied de vigne, alors là je joue un rôle très délicat afin d’être soit en bonne ou en mauvaise santé, ce qui permet à la vigne d’être soignée. Mais je préfère jouer un rôle dans les contes de fées, où je peux utiliser les épines pour me défendre si besoin, ou jouer une petite peste. Qui suis-je ? La ROSE.

Je renais au printemps après un hiver à hiberner pour donner tout ce que j’ai pendant 9 mois du printemps à l’hiver. Je suis résistante à toutes les difficultés, le froid, la chaleur, le bitume, les mauvaises nourritures, les mauvais traitements. J’habite dans les endroits les plus hostiles, les plus inhospitaliers : le goudron, les toits, les vieux murs, mais aussi les jardins lorsque quelqu’un a prêté attention à mes capacités à résister à tout et à venir embellir leur espace. J’ai un port de tige haute, mais je ne suis pas d’un caractère rigide. Au bout de ma hampe, j’offre une belle fleur à plusieurs étages. Elle est parfois rouge, parfois rose ou blanche. Je suis une fleur à qui personne ne prêtait attention, mais on m’adopte de plus en plus pour mon côté nature et sauvage, et durable en amitié. Je suis une VALERIANE.

Je suis la ROSE rouge qui sent bon, qui apporte l’amour, la joie, la tendresse et le bonheur.

Je suis haute, majestueuse, deux têtes de plus que le commun des mortels. D’ici, je vous toise et vous observe en silence, le temps d’une saison tout au plus. C’est fou comme le temps passe vite. Mes clochettes sont vives et en attirent plus d’un : d’abeilles en papillons, moineaux, bourdons… comment c’est déjà son nom ? ah oui, le colibri ! Celui-là serait dingue de moi, car tout chez moi est accueillant pour les petites bêtes ailées : mes feuilles comme des pistes d’atterrissage, mes fleurs comme des galeries mystérieuses qui semblent dire « Entrez ! C’est ouvert ! ». Ma tige est robuste et légèrement urticante… et oui ! Je ne suis pas si facile ! Mes racines sont des mercenaires qui luttent sans relâche pour se faire une place dans le sol triste des villes. Je suis la ROSE TREMIERE.

Je suis rose, violette, mauve. Je pousse spontanément dans les jardins pas trop alignés au cordeau. Parfois, on sème mes graines pour me multiplier mais merci à vous humains de me laisser faire, car grâce aux oiseaux et aux insectes, je pourrai choisir moi-même les endroits qui me conviennent pour me reproduire. Certaines de mes consœurs ont été greffées et reproduite artificiellement ; elles ornent les jardinières de balcons mais elles dépendent des humains qui doivent les rentrer en hiver. Moi je peux supporter le froid, car je sais où m’abriter et me renouveler chaque année. Je suis le GERANIUM.

Je suis une MARGUERITE, si petite, un peu rabougrie. Mes pétales, en cette fin de printemps, s’épuisent. Et pourtant, le jaune de mon cœur continue de resplendir. Tu ne m’as peut-être pas vue, mais moi, sous tes pas, je me suis tue. Avec mes camarades, un peu, beaucoup, passionnément, nous attendons patiemment qu’un enfant vienne nous choisir, défasse nos pétales un à un, en pensant à un amour naissant. Mais une fois ainsi dépecé, comment pouvons-nous continuer à vivre, à sentir, à aimer ? Imaginez tenir debout sans bras : comment vous sentiriez-vous ? Je suis une marguerite si petite, et loin dans mon cœur nait l’espoir de voir dans vos yeux d’humains la compassion pour notre nation. Un peu, beaucoup, passionnément, nous vous aimons et nous vous dédions cette chanson.

Je suis une PETITE PLANTE, j’ai réussi à pousser entre deux pierres, à un endroit où le ciment avait un petit défaut. Je me suis lentement immiscée et j’ai pu sortir une petite pousse au printemps. Quelle surprise lorsque j’ai découvert que je me trouvais à deux mètres du sol, au-dessus d’un trottoir ! Pas de camarade aux alentours, j’ai compris que je ne devrais compter que sur moi-même. Heureusement, j’ai un excellent pouvoir d’adaptation. Ma corole mauve me permet de recueillir les gouttes de pluie quand la météo est conciliante avec nous les plantes. Le vent vient caresser mes feuilles, tel un bercement très agréable. La hauteur à laquelle je me suis perchée est en fait une alliée : les humains ne peuvent pas m’atteindre et me détruire. En fait, ils ne me voient pas. Les jardiniers de la ville à la recherche des « mauvaises herbes », avec leur appareil pour les brûler, ne me voient pas non plus, encore moins les enfants. Mais moi, je les observe. Du matin au soir, je les observe. J’aimerais bien leur dire qu’il faut nous laisser une place à nous les plantes, quand je les vois passer avec leurs voitures qui sentent bien moins bon que moi. J’ai envie de leur crier de marcher sur le trottoir et chercher mes nombreuses camarades qu’ils aperçoivent à peine et qui ont, comme moi, transpercé les murs et les trottoirs. Ce matin, pourtant, plusieurs personnes sont passées me voir. Elles marchaient deux par deux, l’une avait les yeux fermés et l’autre semblait la guider. Elles se sont arrêtées tour à tour et m’ont observée : ça ne m’était jamais arrivé, je crois que ma corole a rosi. Si seulement les êtres humains pouvaient faire un peu plus souvent attention à nous.

Je suis simple ou double, de couleur blanche, je viens t'offrir ma fragrance, mon élégance, et ce vent qui nous fait danser en harmonie, dans la douceur et l'amour de ce monde végétal sans lequel le monde serait triste et en souffrance, sans couleur, sans odeur et sans vie !... Je m'appelle SERINGAT

Je suis un CERISIER, avec un tronc fort et solide. Je suis stable, malgré les irrégularités de mon écorce. Mes branches portent des petits fruits rouges sucrés, elles portent la vie. Mes branches dansent au son du vent, parfois elles sont lourdes et se disputent entre elles. Humains, vous êtes comme moi : stables et mobiles à la fois. Vos racines vous soutiennent et sont reliées à la terre, vos branches pleines de vie transportent vos émotions, impermanentes.

Je suis DE ROSE VETUE en haut, dans ma tête, car j’ai pris le temps : le temps du vent pour la légèreté, le temps du feu pour briller depuis mon propre pistil, j’ai accueilli l’eau pour jaillir, traversé la terre pour m’élever. Je me suis concentrée sur ME NOURRIR, car ce ne sont pas les fleurs comme moi qui vont chercher les abeilles. Je me contente de reconnaître mes besoins, explorer et m’alimenter, attendre l’invitation, suivre ma joie d’ÊTRE au monde qu’impulse le FAIRE, les deux cohabitant toujours. Je me rends disponible pour que les abeilles butinent, mais quand c’est le moment de revenir en mon antre, me replier, je n’attends pas d’être vidées de mes étamines. Je suis une fleur qui suis ses élans dont les nuances de vert à la tige reflètent les différences entre vos réalités humaines. Toutes à leur place, parfaites, selon ce que vous choisissez d’incarner ici. Lorsque je choisis la vie, je choisis forcément la mort, car mon ombre sur le sol ne pourrait pas exister sans la présence de mes contours si lumineux. Ma réalité ne vaut pas moins, pas plus qu’une autre, elle est. J’ai conscience que je fais partie du tout, alors je suis, en simplicité, mais je suis là comme la terre qui m’a fait grandir et que je fais grandir en étant juste moi.

Je suis une petite fleur qui n’a l’air de rien, qui passe le plus souvent inaperçue, qui ressemblent aussi à beaucoup d’autres qui me sont semblables, avec qui je suis reliée car nous poussons au même moment de l’année, avons la même forme et la même couleur, la même façon de vibrer et de rayonner ce que nous sommes sans nous poser de questions, sans nous juger, sans même nous demander si nous serons encore là demain, ou même tout à l’heure. Pourtant, je suis seule sur ce trottoir de bitume. Il m’a fallu beaucoup de persévérance pour germer dans cet interstice entre le mur d’une maison et le sol recouvert d’une matière si peu accueillante. Je suis là, bien là, présente au monde, en pleine confiance de ce que je suis. Je sais que je ne suis pas là par hasard, et sans chercher à comprendre le pourquoi, je m’offre totalement, absolument au monde. Je serai peut-être cueillie, je serai peut-être souillée ou anéantie, cela n’est pas mon problème. Mon rôle était juste de venir pousser là, éclairer cet endroit de mes pétales jaunes, ramener de la vie où il n’y en avait plus. Je suis une fleur de PISSENLIT.

Je suis BLEUE, mes sœurs sont rouges, jaunes, et d’autres, plus modestes, se cachent tellement qu’on les devine plus qu’on ne les voit. Nous sommes, grandes, fines et élancées. Nous vivons l’été au milieu des blés, nous aimons le soleil et nous balancer au gré du vent léger. Nos défauts ? Frivoles, insouciantes, et gaies comme les cigales qui viennent parfois chanter près de nous. Nos qualités ? Ravir les yeux des humains qui nous regardent. Certains nous ont même immortalisées sur des toiles. Ô homme brutal, arrête de nous faucher, de nous massacrer jeunes encore, en même temps que notre frère le blé.

Je suis une plante, avec une longue tige. Je m’éclate en petits paquets de pétales roses en haut de cette longue tige. Je suis une PLANTE QUI S’ALLONGE VERS LE CIEL. Je suis rarement seule, je suis très souvent accompagnée par toute ma famille de plantes. Je me plais un peu partout, dans les villes mais aussi dans les jardins des humains qui veulent bien de moi. J’ai une odeur assez forte et reconnaissable. Souvent, les humains disent que je sens bon, mais ces mêmes humains passent aussi souvent devant moi sans me jeter un regard, ils m’ignorent, ou pire ils m’écrasent, me piétinent. A chaque fois qu’ils font cela, je me demande s’ils se souviennent que chacune de leur respiration est possible parce que j’existe. Ce serait bien si les humains pouvaient s’en souvenir un peu plus souvent.

Je suis droite, belle, aux couleurs vives d’un VIOLET ECLATANT. Mes pétales sont symétriques, bien arrangées, bien coiffées. Ma tige et mes feuilles partent quant à elles dans tous les sens comme pour briser cette beauté droite et rigide et lui donner encore plus d’éclat. Mes racines se plongent dans un parterre bien arrangé, au sein duquel toutes mes voisines directes ont été éradiquées. Autour de moi, tout a été coupé, bien orchestré par une main humaine qui m’a planté là, au milieu de ces copeaux de bois sans vie, ou plutôt qui regorgent de vie, comme cette petite fourmi qui remonte le long de ma tige, me fait frissonner jusqu’au bout de mes pétales, grâce à qui j’arrive un peu à me relier au monde qui m’entoure et pour laquelle je continue à briller.

Je suis le PALMIER. J’aimerais que vous puissiez savoir les vertus et les bienfaits de la plante que je suis. Je sers à la fabrication de vin, huile, ainsi que de balais pour mettre la propreté à la maison et de notre environnement.

Pour finir, présentation par Marie Rota et Muriel Gilardone de la démarche scientifique qui a abouti à l’ouvrage Ecrire les plantes, des différents thèmes qui les ont mis au travail (graines, plantes nocives, plantes médicinales, plantes invasives) et de quelques résultats.

Jour 2 : mardi 13 juin, après-midi (départ à 13h de la coopérative chorégraphique)

Atelier de rencontre avec 4 plantes médicinales, jardin des plantes des plantes de Caen, animé par Nadège Locoge (Le murmure des herbes sauvages), herbaliste en formation à l'Ecole Lyonnaise des Plantes Médicinales (ELPM)

            

          

Approche de l’atelier : nous faisons partie de la nature et tout comme elle, en tant qu’êtres humains, nous vivons des cycles. Pour les femmes particulièrement, cette cyclicité est mise en évidence par les 4 phases du cycle menstruel mais également par celles du cycle féminin (puberté, fertilité, ménopause, post-ménopause). En s'inspirant des 4 archétypes féminins liés à ces phases, Nadège Locoge a proposé aux participantes de se (re)connecter à la nature et à leur nature, grâce à 4 plantes médicinales « amies des femmes ». Ce lien se fera par une approche sensible et sensorielle mais aussi médicinale : observation des plantes dans le jardin, et de diverses formes sous lesquelles on peut les utiliser (tisane, baumes, hydrolat, etc.), expérience de « goûter » ces plantes en notant les effets que cela nous procurent instantanément, échange autour des pratiques et propriétés connues et moins connues des plantes. 

                        

Crédit photos : Muriel Gilardone et Jacqueline Devienne

Vidéo présentant l'édition 2023 du projet Ce à quoi nous tenons : https://vimeo.com/837349288 (atelier à 4min40)


[1] Voir notamment Bruno Latour, Nous n'avons jamais été modernes Essai d'anthropologie symétrique, La Découverte, 2006 [1991].

[2] Emilie Hache, Ce à quoi nous tenons, La Découverte, 2019 [2011].

[3] Philippe Boursier et Clémence Guimont (Eds), Écologies. Le vivant et le social. La Découverte, 2023, p. 6.

Personnes connectées : 3 Flux RSS | Vie privée
Chargement...